Transfert d’argent : Entre la banlieue et la Savane
Jeudi 12/02/2009 | Posté par Alexander Knetig
TRANSFERT D’ARGENT 1/5. Hier, nous vous présentions l’impossible enquête des transferts d’argent vers le bled. Découvrez à partir d’aujourd’hui, en 5 épisodes, l’histoire d’Albert Carera qui se demande quel est le moyen le plus avantageux pour lui de recevoir de l’argent de sa famille, vivant en France et aux Etats-Unis, pour construire sa ferme et irriguer son terrain
Un homme solitaire traverse la Savane dans sa charrette tirée par un âne et, provisoirement peinte en rouge, jaune et vert, les couleurs nationales du Sénégal. Dans ce grand vide brûlé par le soleil torride du Sahel, son sifflement tranquille est le seul bruit que l’on entende à des kilomètres à la ronde.
Albert Carera a quitté son domicile de Louga il y a trois heures pour se rendre lentement dans sa ferme, située juste à côté du fleuve Sénégal, à 300 kilomètres au nord de Dakar, à la frontière avec la Mauritanie. Malgré son moyen de transport plus que rudimentaire, Albert Carera n’est pas un homme pauvre. Il possède un petit lotissement de terre grâce à l’argent que les membres de sa famille lui envoient régulièrement depuis l’Europe et les États-Unis. Il représente un nouveau chapitre dans la vieille histoire des transferts d’argent, une histoire faite de tradition et de modernité.
Depuis 1995, les grandes entreprises occidentales de transfert d’argent ont commencé à s’implanter en Afrique. Ces transferts ont fait la fortune de certaines entreprises comme Western Union, implantée à Louga depuis 1999, et son principal concurrent au niveau mondial, Moneygram, qui y est présent depuis 2003. Aujourd’hui, toute la ville est remplie de publicités offrant ces services ; des publicités qui montrent que cette ville d’un peu plus de 100 000 habitants est devenue la capitale de l’émigration sénégalaise. Plus de la moitié de la population de Louga vit à l’étranger, ce qui rend la ville extraordinairement profitable aux yeux des entreprises de transferts d’argent.
Mais le modèle change peu à peu. Car, de plus en plus souvent, les diasporas comme celles restées au pays ne sont plus disposées à perdre plus de 10% d’un argent durement gagné dans des transactions effectuées par de grandes entreprises multinationales. Des moyens alternatifs sont en train de surgir un peu partout en Afrique occidentale. Au Sénégal, on a fait preuve d’une créativité remarquable pour établir des réseaux de transfert alternatifs.
Des gens comme M. Carera ont une palette de choix ; chose inimaginable il y a encore quelques années. « Il est trop cher pour moi de payer 10% ou même plus pour chaque transfert, explique-t-il. Ma fille nous a envoyé une fois l’équivalent de 10 000 € pour que je puisse construire cette cabane-là, derrière, et pour acheter les premières machines pour mes champs. Et l’agence dans laquelle je suis allé a tout simplement gardé 1 300 €. C’est plus que ce que ma fille gagne par mois ! » Il hoche la tête. « Mais tout est en train de changer, car nous n’avons plus besoin de ces agences. Maintenant, nous avons les Bana-Banas. »
Prochainement : L’importance des Bana-Banas dans les transferts d’argent (2/5)
Alexander Knetig
Par Anonyme