Toute l'amertume des reclus des cités jetée à la face des DRH
Vendredi 27/03/2009 | Posté par Widad Kefti
Quand les grands groupes rencontrent des jeunes et moins jeunes dans leur quartier, ce n'est pas pour se faire des bisous. Chaude soirée à Nanterre que raconte Widad pour le Bondy Blog. Comme la question du recrutement est centrale parmi les thématiques du Business Bondy Blog, nous reprenons ce reportage.
Lorsque des acteurs de la sphère professionnelle se rendent en terrain miné, au cœur d'une cité, qui plus est pour y traiter de questions relatives à la discrimination, le débat se transforme vite en séance de lapidation publique. Malek Boutih le socialiste et Yazid Sabeg le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, se sont fait porter pâles. Le reste des intervenants annoncés ont répondu présents à l'invitation lancée par l'association Zy'va. Ils ont dégusté.
Voici ces héros d'un soir à Nanterre (retenez votre souffle) : Chantal Dardelet, responsable du pôle « ressources ouverture sociale » de l'ESSEC, Patrick Plein directeur « développement des ressources humaines » du groupe Vinci, Jean-Claude Le Grand, directeur des ressources humaines et directeur « corporate diversité » de L'Oréal, Eric Pelisson, délégué régionale de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour légalité), Claire Oger, professeur de droit public à l'université de Villetaneuse, Gwenaelle Calvès professeur de droit public à l'université de Cergy Pontoise, ainsi que Benoit Kaplan, sous-préfet chargé de la politique de la ville et de la cohésion sociale. On n'a oublié personne ?
Dans la salle, les plus malins sont venus armés de leur CV ; les plus désabusés sont venus armés de questions poignantes et de discours en forme d'oraison funèbre. Sur le banc des accusés, les DRH, jugés par une jeunesse (plus toute jeune) découragée par toutes ces années où elle a eu le sentiment d'être été mise au ban de la société. Malgré leur bonne volonté, les intervenants ont eu un mal fou à trouver l'oreille de l'auditoire. Cela fait tant d'années qu'on échafaude, qu'on expérimente des solutions miracles « pour les quartiers », qui ne sont en réalité que pseudo-solutions.
Du coup, les questions du public avaient plus du rituel de défoulement que du débat lambda. On notera celle posée à Patrick Plein : « Si je prends le trombinoscope des postes à haute responsabilité du groupe Vinci, comment sera cette photo ? » Et Plein de reconnaître, tel un accusé mis devant le fait : « Je dois avouer que je me suis prêté à ce jeu, et si effectivement on n'a pas le droit de compter, on a tout de même le droit de regarder, et en regardant, il est vrai que cette photo n'est pas vraiment très coloré. »
Professeur de droit public à l'université de Cergy Pontoise, Gwenaelle Calves déplore le système de recrutement, qui obéit selon elle à un effet miroir : « Le candidat qui a le plus de chances de réussir est en général celui qui ressemble le plus au jury ; cet effet miroir, ce besoin de se reconnaitre en l'autre n'est pas toujours très raisonné », affirme-t-elle. Les élites ne sont toujours pas le reflet de la population et si le recrutement procède de l'effet décrit, les Noirs et les Arabes ne sont pas prêts d'intégrer les hautes sphères de l'économie, de la finance, du droit, etc. Mais ouvrir à tous l'accès aux grandes écoles, sans rien demander en échange, dénaturerait le terme même d'élite ; il faut donc, selon les intervenants, réfléchir sur « les épreuves, les jurys et les conditions d'entrée sans altérer la notion élitiste ».
Bien qu'encore peu nombreux, il existe d'ores et déjà des moyens d'intégrer des grandes écoles, un peu à l'instar des conventions science-po (précurseur en la matière). On trouve l'opération « Une grande école pourquoi pas moi », un groupe de travail organisé par des étudiants de l'ESSEC les mercredis après-midis dans les lycées partenaires, avec cette devise : « Ne renonce pas à ce que tu es mais fais-en une force. »
Dans le même genre, il y a l'opération « Chance aux concours », une aide aux étudiants qui souhaitent passer les concours d'entrée aux grandes écoles de journalisme et qui ne sont pas passés par une classe « prépa ». Ou encore l'échange de savoir faire proposé par « ambition campus », une association d'étudiants de Sciences-Po qui interviennent dans les lycées ZEP, avec une formule originale : des cours de boxe contre cours des leçons de maths.
Celles et ceux qui tiennent à passer par une prépa, pourront en revanche tenter la prépa ESJ Lille/Bondy Blog s'ils sont intéressés par le journalisme, ou passer les prépas convention HEC s'ils ont la bosse du commerce. D'autres organismes interviennent plus en profondeur. C'est le cas de la fondation Télémaque, qui propose des parrains à des collégiens issus de quartiers défavorisés afin de les aider très tôt et les conseiller dans leur orientation scolaire. Enfin, il existe une opération qui entre dans le circuit beaucoup plus tard, en master 1 et 2 : « l'opération phénix ». Elle associe des entreprises signataires et des universités partenaires, de façon à pallier la concurrence que rencontrent les universitaires face aux diplômés de grandes écoles.
Les initiatives se multiplient, mais l'on sait tous que tout se joue aux niveaux les plus élevés de la formation des élites : Normal Sup, Centrale, Polytechnique... Et là, nous vous attendons toujours, Messieurs les philosophes, les ingénieurs, les polytechniciens. Venez dans nos quartiers.
Widad Kefti
Par Anonyme