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« Si Areva reste composé d’hommes blancs, français, sortis des mêmes bonnes écoles, on ne va pas comprendre le monde ! »

Dimanche 26/10/2008 | Posté par Zineb Mirad

Étienne Boyer est Responsable du département Diversité Ethnique et Culturelle au sein du groupe Areva, l’un des leaders mondiaux de l’énergie nucléaire et selon le magazine Fortune, « la compagnie énergétique globale la plus respectée au monde », avec une présence dans 43 pays et plus de 71 000 employés. Étienne Boyer est aujourd’hui très investi pour l’accès à l’emploi des jeunes issus de la diversité. Il fait le point avec le Business Bondy Blog trois ans après le démarrage de l’opération en insistant sur la nécessité de diversifier le recrutement et de revaloriser les Bac Pro et les métiers de l’industrie.

Areva veut embaucher 12 000 personnes par an, dont 4 000 en France. Sur celles-ci, vous vous êtes engagés à recruter 100 personnes issues de la diversité. Ça marche ?

Quand on a annoncé notre opération pour combattre les discriminations, notre présidente Anne Lauvergeon a effectivement lancé l’idée qu’Areva s’engage sur 100 jeunes. Ça, c’était il y a deux ans.

Mais le chiffre n’est pas vraiment important à retenir. Areva est à l’origine une société très franco-française recrutant des gens qui se ressemblent tous. C’est pour cela qu’il y a maintenant 3-4 ans on est entrés dans une démarche de diversité avec plusieurs axes. L’un d’eux consiste à expliquer qu’il faut aussi avoir des jeunes qui ne sortent pas obligatoirement des mêmes belles écoles, des mêmes beaux quartiers. Il faut ressembler un peu plus au monde dans lequel on vit… Au risque de vous choquer, ce n’est pas juste une démarche citoyenne, mais simplement une nécessité économique.

L’ambition d’Areva est de contribuer à répondre au besoin énergétique du monde entier dans les décennies à venir. Notre terrain d’intervention est le monde entier, donc si on est tous des hommes blancs, français, de 50 ans et en bonne santé, sortis de bonnes écoles, on ne peut pas comprendre le monde ! À Paris, l’objectif revient donc à ouvrir nos portes à un public beaucoup plus vaste. Malgré tout, notre but n’est pas de compter les personnes venant de tel quartier, ayant telle origine. Pour une raison toute simple : c’est interdit par la loi.

Quels types de poste occupent ces nouveaux employés ?

On a la chance chez Areva de recruter dans des postes très différents et à des niveaux différents également. Depuis le BEP jusqu’au Bac +8. Même si la grande majorité est recrutée pour des emplois techniques, comme technicien supérieur, ingénieur dans le domaine du développement. On ne s’arrête pas là, on a de tout, par exemple sur la Bourgogne, on a besoin tous les ans de plusieurs centaines d’ouvriers-techniciens à des niveaux Bac Pro. Mais aujourd’hui, ce qui est paradoxal c’est que recruter un Bac Pro c’est quasiment impossible. Et c’est hallucinant, car on a actuellement des milliers de jeunes et moins jeunes qui n’ont pas de projet, qui ne savent pas quoi faire ! On a des centres de formations qui sont à 20, 30, 40% vides, en sachant que les personnes qui en sortiraient seraient pratiquement sûres d’avoir du travail. L’inconvénient c’est que ces métiers ne sont pas en banlieue parisienne, parce que ce territoire s’est en grande partie désindustrialisé. Néanmoins, pour des jeunes qui seraient mobiles, on est prêts à faire ce qu’il faut.

La discrimination frappe également les jeunes diplômés, les jeunes issus des banlieues, de la première, deuxième génération d’immigrés. Aujourd’hui, pour y remédier, nous travaillons avec des associations qui nous mettent en relation. On constate que lorsque la relation est établie, les choses se passent relativement facilement. On se rend compte alors que la principale difficulté pour ces jeunes c’est souvent de se mettre en contact avec une entreprise qui recrute. La discrimination se fait beaucoup plus à la lecture du CV que lors d’un entretien en face à face.

Pour la mobilité, justement, les grandes entreprises se plaignent souvent qu’elles ont de la peine à recruter des expatriés, en Afrique par exemple. Est-ce que vous voyez la diversité française comme une réserve de gens qui serait prêts à bouger vers le sud, le Magreb ou l’Afrique sub-saharienne où vous êtes très actifs ?

Bien sûr, ils peuvent nous aider à comprendre le mode de fonctionnement, la culture, le mode de relation entre les personnes. Maintenant est-ce qu’eux auraient envie d’y aller, je ne sais pas. Malgré tout, ça contribue tout à fait à la nécessité de comprendre le monde entier.

Est-ce que la signature de la Charte de la diversité en Avril 2006 a fait évoluer les choses pour Areva ?

Je vais être tout à fait clair : sans la Charte on en aurait fait autant, ou pas moins. Maintenant, la Charte a eu un énorme mérite, c’est de faire réfléchir beaucoup d’entreprises. Ce que l’on peut observer dans les grandes mais aussi dans les petites entreprises, depuis 2006, c’est qu’il y a une réelle prise de conscience. Concernant Areva, avec la Charte, on a pris des engagements mais on en a pris d’autres, une convention avec le service public de l’emploi sur l’insertion des jeunes par exemple. L’important, je pense, c’est que les choses se réalisent au plus près des réalités. On a plus d’une centaine de sites sur toute la France et nos responsables de recrutement sont aussi un peu partout. Ils entrent en relation avec leur ville, leur quartier pour travailler sur ces sujets-là.

Et le Plan espoir banlieue, lancé il y a 8 mois, a-t-il changé quelque chose pour Areva ?

Non, parce qu’en terme d’engagement, nous n’avons fait que reprendre ceux que nous avions pris dans la Charte de 2006. On se sent bien dans ce plan, mais la seule difficulté c’est que l’on ne va pas prendre un jeune parce qu’il habite en ZUS. La discrimination ne s’arrête pas à l’entrée de la ZUS.

Les entreprises doivent-elles aujourd’hui imposer à l’embauche des quotas diversité ?

Non, surtout pas. Ce n’est pas comme ça que l’on fera une intégration réussie. Cela dit, je ne vous cache pas qu’il faut quand même y réfléchir, il y a des pays où des quotas ont été mis en place et où objectivement il y a des résultats, par exemple aux Etats-Unis. En France, on n’aime pas les quotas, mais ça doit nous interpeller. C’est comme l’histoire du présentateur noir du journal télé. Aux Etats-Unis, il y en a depuis très longtemps et plus personne ne se pose de questions. Quand ça arrive en France, on en fait toute une histoire. Notre fameux modèle républicain, il nous plaît bien mais il n’a pas permis sur ce thème de grands succès. C’est aussi l’enjeu, tout en gardant nos valeurs, on peut réussir.

Que pensez-vous de la discrimination positive ?

Je n’ai pas vraiment envie d’entrer dans ce débat. J’ai envie de dire que nous n’en faisons pas mais une fois que j’ai dit ça et que l’on regarde de plus près, ça y ressemble pas mal quand même.

Et le CV anonyme, vous parle-t-il plus ?

Alors ça, je n’y crois pas du tout ! Qu’est-ce que c’est que le recrutement ? C’est une rencontre entre deux personnes, un employeur qui a des besoins, et une personne qui cherche du travail. L’important c’est que les deux se rencontrent et échangent. Comment le CV anonyme pourrait marcher ? C’est impossible. Chez Areva, on a un système informatique et pour postuler, il faut obligatoirement s’inscrire sur le site. On peut imaginer que ce soit anonyme. Mais l’emploi, il est où ? Essentiellement dans les PME voir les TPME. Expliquez-moi comment le boucher qui recherche un apprenti va faire avec un CV anonyme ? S’il y a quelqu’un qui peut matériellement m’expliquer comment il fait, je suis prêt à écouter. De plus, s’il y a une personne qui est victime d’une discrimination et qu’on lui dit : « Si tu ne veux plus être discriminé, il faut que tu avances caché », c’est inacceptable !

Quel est aujourd’hui chez Areva le poste le plus élevé occupé par quelqu’un issu de la diversité ?

Il y a quatre grandes filiales, à l’intérieur desquelles nous avons les business units. Nous avons plusieurs patrons de business units issus de la diversité. Ce sont des postes de direction générale.

Alors combien de patrons de business unit issus de la diversité, sur combien en tout ?

Si on prend la douzaine de postes de la direction de chaque filiale, cela fait une soixantaine en tout, parmi lesquels plusieurs issus de la diversité. Je ne les connais pas tous ! Dans la filiale à laquelle j’appartiens, il y en a deux.

Serait-il judicieux d’imposer un bilan « Diversité » au sein des entreprises pour évaluer leur recrutement annuel ?

On a l’habitude dans les entreprises industrielles de mesurer les résultats de ce que l’on fait. C’est un des rares – voire un des seuls – domaines où l’on ne mesure pas les résultats, parce que c’est interdit. Malgré tout, je pense que si demain la loi permettait de le faire, on le ferait ! Cela dit, si le législateur n’a pas voulu autoriser cela pour le moment, c’est qu’il craint que ça se retourne contre les personnes d’origine étrangère.

La classe politique est-elle en retard sur le monde économique en matière de promotion de la diversité ?

Je vous dirais qu’il suffit de voir la composition de l’assemblée nationale. C’est vrai que nous, les entreprises, ne sommes pas brillantes mais eux ils sont carrément nuls. Le plus important c’est quand même d’appliquer à soi-même les recettes que l’on propose aux autres.

Maintenant j’aimerais insister sur un point. Un des grands malheurs de la France, l’une des raisons du chômage et de la difficulté pour les jeunes de faire des projets de carrière professionnelle, c’est la question de l’orientation et de l’information aux familles. On est dans une phase économique difficile, néanmoins on sait que l’industrie française va recruter des dizaines de milliers de personnes dans les années qui viennent, avec les départs à la retraite. Mais on a des dizaines de milliers d’emplois qui ne sont pas pourvus en France, à des niveaux Bac, Bac +2. Nous avons des emplois, mais on a des jeunes qui n’ont pas de projet, pas de perspective, c’est simplement alarmant d’être dans cette situation.

Il faut que tous les acteurs et les jeunes sachent que dans l’industrie il y a des possibilités de faire carrière, d’apprendre des métiers, il est possible de gagner très correctement sa vie, de se développer, d’apprendre tout au long de sa vie, et ce sont des choses qui ne sont pas dites. Quand on travaille avec des acteurs de l’insertion, on est très rarement face à des gens qui savent parler des métiers de l’industrie. Tout simplement parce que ça ne leur vient pas à l’idée, on parle de service, d’aide à la personne, de la banque mais aller travailler dans l’industrie ce n’est pas quelque chose de spontané. C’est sûr que c’est compliqué en région parisienne, mais quelqu’un qui serait prêt à envisager une mobilité, par exemple vers la Bourgogne, alors tout est mis en place pour l’accompagner !

Il faudrait peut être engager une opération-séduction pour donner envie ? Comme le fait l’armée de terre par exemple ?

Je crois que c’est vrai, c’est en partie notre responsabilité et presque notre faute. Aujourd’hui, on doit tout mettre en œuvre pour donner envie à ces jeunes de s’engager avec nous comme l’armée, c’est vrai, le fait bien. Mais on y travaille, on va développer des actions.

Propos recueillis par Zineb Mirad et Serge Michel

Vidéo par Chou Sin

Zineb Mirad -