« Médecin et dealer payé par la sécurité sociale »
Lundi 26/01/2009 | Posté par Marlène Schiappa
Exercer la profession de médecin dans les banlieues ne s’apprend pas toujours à l’université. C’est ce que j’ai pu constater en me rendant sur place : Loin de l’image du gentil « docteur » à la Georges Clooney, certains ont mis au point toutes sortes de business à l’extrême limite de la légalité…
Quand on arrive dans la salle d’attente du docteur Y. une affichette prévient : « Le Docteur Y. ne prescrit pas de Subutex – Merci ». La tentation est trop grande, l’occasion trop bonne, prête à tout pour une bonne blague, quand il me demande pourquoi je viens, je lui réponds très sérieusement que je voudrais du Subutex.
Après une minute de flottement, il comprend la gentille moquerie et se dévoue pour m’expliquer ce que c’est que ce médicament que je ne connais pas. « C’est un traitement de substitution aux opiacés. En clair, ce qu’on donne aux héroïnomanes en désintoxication, en rehab comme dirait Amy Winehouse. » Mais en réalité, il est utilisé directement comme une drogue dure, et d’ailleurs classé comme telle dans de nombreux pays hors de l’Europe : Depuis 2006, le président de la commission interministérielle contre la drogue réclame d’ailleurs son retrait des ventes. Plus de 51% de sa commercialisation passerait par des circuits parfaitement autorisés, selon cette même commission.
Mais alors, pourquoi l’apparition subite de cette affichette ? « Un médecin qui avait un cabinet à quelques rues et qui en prescrivait a pris sa retraite. Tous ses clients habituels viennent donc ici, mais je refuse de rentrer dans ce marché. Quand on se retrouve seul dans son bureau face à un drogué en manque, qui vous somme de lui faire une ordonnance, c’est délicat de dire non. Alors je préfère prévenir dès la salle d’attente », termine-t-il. Quel intérêt pour un médecin de prescrire du Subutex ?
Lisa*, 21 ans, seule fille dans une salle bondée de jeunes hommes qui font semblant de ne pas entendre mes questions ou de répondre à côté, accepte de m’expliquer : « C’est très simple et très légal. Tu as commencé à acheter du Subutex dans la rue, ou de l’héroïne, et tu en veux à moindres frais ? Tu vas chez le docteur C. qui te fait une ordonnance. Son intérêt ? Il passe non seulement ta carte vitale, mais aussi une ou deux autres supplémentaires en prétendant avoir reçu toute la famille en consultation : 21 € x 3 directement dans sa poche, à raison de 3 à 4 "patients" par heure, son activité est vite rentabilisée. La sécurité sociale le rémunère donc, à deux ou trois fois le tarif (puisque deux ou trois cartes passées dans le lecteur) pour dealer légalement ! »
Mais les consommateurs ne sont pas ses seuls « patients » : les petits dealers eux-mêmes viennent ici se fournir pour revendre le fameux Subutex aux drogués en période de réhabilitation, ou aux clients habituels des drogues douces en mal de sensation. Les prix seraient très variables, selon le client et selon le format, le médicament pouvant être vendu tel quel dans sa boîte ou mélangé à d’autres produits, « prêt à consommer ».
D’après le blog d’Elfie, consacré aux méfaits du Subutex et de ses dérivés, il peut en effet se consommer comme un bonbon ou en intraveineuse, au choix. Il m’a été impossible de rencontrer le fameux médecin faisant ces prescriptions, ni de connaître les vraies raisons de la fermeture de son cabinet : contrôle ? descente de police ? peur d’un dealer ? ou lassitude d’un marché fort peu reluisant pour une personne ayant prononcé le serment d’Hypocrite ?
Deux éléments me semblent toutefois notables pour éviter de stigmatiser. Le premier : cette banlieue n’est pas la plus enclavée, loin de là, puisqu’elle touche Paris et a même une réputation de « Boboland ». Le second : rappelons-nous que cette exception concernant une infime partie des assurés sociaux ne doit pas être utilisée comme un argument par ceux qui voudraient encore diminuer les remboursements des vrais malades, des banlieues ou d’ailleurs, qui ont déjà du mal à faire face à leurs frais médicaux. Peut-être ces mêmes difficultés sont-elles d’ailleurs à l’origine de certaines addictions médicamenteuses…
Marlène Schiappa
Par Anonyme