Marchés de gré à gré, les copains d'abord?
Lundi 29/06/2009 | Posté par Nadia Moulaï
Depuis le 19 décembre 2008, les collectivités ne sont plus soumises à concurrence pour toutes les commandes inférieures à 20 000 euros. C’est ce qu’on appelle les « marchés de gré à gré ». Destinée à soutenir les PME, la mesure ne fait pas l’unanimité auprès des patrons de banlieue. Certains dénoncent même un système opaque fondé sur le copinage.
Relancer l’économie en dispensant les collectivités de tout appel d’offre en dessous de 20 000 euros de commande. C’est l’une des mesures clés du plan de Sarkozy pour nous sortir de la crise. Décrétée en décembre dernier, elle vise à soutenir les PME en leur ouvrant des marchés locaux. Mais six mois après, où en est- on ? Sur la question, Adoum Djibrine- Peterman, Co-dirigeant d’Inxeoz et président de la Nouvelle PME, une association dédiée aux entrepreneurs des quartiers, a un avis plutôt tranché. «A la base, le gré à gré a été mis en place car les collectivités se plaignaient de ne pouvoir faire travailler les entreprises de leur tissu économique. » Or, « on a le sentiment d’une vaste fumisterie. » poursuit- il.
Alléger le Code des marchés publics serait donc contre- productif… La raison ? En dispensant les collectivités de toute publicité ou mise en concurrence pour des achats ou services inférieurs à 20 000 euros ht, les transactions perdent en transparence. D’après Alexandre George, directeur de Migration Conseil, une agence spécialisée dans le droit des étrangers à Montreuil, « augmenter le seuil des marchés de gré à gré à 20 000 euros devait théoriquement favoriser leur accessibilité pour les petites entreprises, dont celles de banlieues. Mais dans les faits, on note une certaine perversion, car ce système a au contraire contribué à obscurcir encore davantage la situation ». Du coup, l’incompréhension et le sentiment d’être mis de côté par les collectivités prédominent auprès de ces patrons implantés dans les quartiers. « Elles ne jouent pas le jeu. On nous utilise pour communiquer sur la diversité, sur l’action citoyenne dans un territoire. On fait mine de nous donner notre chance mais au final la part du gâteau est jalousement gardée ! » renchérit Adoum Djibrine-Peterman. D’autant que ces entreprises souvent ont fait leurs preuves.
Le cas d’Inxeoz, spécialisée en « conseil et accompagnement en gestion de projet», est particulièrement parlant. Aucun marché décroché en Ile-de-France. Problème de compétence certainement…Pas sûr. Créé en 2007 par Adoum Djibrine- Peterman et Fabien Gaboriau, Inxeos travaille pour une quarantaine de clients dont Alstom ou la SNCF (projets pour l’autoroute Est-Ouest en Algérie, le TGV de Rabat ou le futur métro de Dublin).Parmi les chantiers, le métro d’Alger et de Dublin ou le TGV de Rabat. Pourtant, ce beau tableau de chasse ne suffit pas à Adoum Djibrine-Peterman qui voudrait s’impliquer à l’échelon local. « Il y a une vraie contradiction car nous travaillons sur de très gros projets en province et à l’étranger. Mais au niveau de notre département, les collectivités ne semblent pas prêtes à faire appel à nous… ». Et d’ajouter « si l’on nous faisait confiance même pour un budget modeste, ça nous ouvrirait des portes ! »
Au-delà de la dimension business, il pointe un problème de fond lié à la crédibilité des entreprises de quartiers.
En effet, comment une jeune boîte peut- elle crédible et visible si localement elle n’est pas consultée ou sollicitée? Pour autant, Inxeoz avance quand même. Par exemple, elle contribue au projet du tramway d’Angers. Preuve que tous les marchés de France ne leur sont pas fermés. Mais toutes les PME ne sont dans ce cas. Pour expliquer tout ça, il avance plusieurs arguments dont le manque d’audace des collectivités. « Les structures publiques ne veulent pas travailler avec nous car elles ne veulent pas prendre de risques. »
Du côté des professionnels des marchés publics, le son de cloche n’est pas tout à fait le même. Selon un responsable marché public en Seine Saint Denis, souhaitant rester anonyme, « on ne parle pas de marché de gré à gré mais de marché à procédure adaptée (MAPA). » Revenant aux sources même du problème, « il rappelle que le décret du 19 décembre 2008 ne signifie pas que les collectivités sont totalement libres. Même si le gouvernement leur a donné plus de liberté, au final, il y a toujours des contrôles. Elles doivent justifier leurs dépenses car c’est de l’argent public. » D’ailleurs, une mise en concurrence même restreinte reste recommandée. « Nous nous sommes créés une procédure, histoire de respecter les principes de transparence envers les entreprises. » souligne notre source. Avant d’avouer que « le décret du 19 décembre 2008 nous a tous choqué. Il est en contradiction totale avec les principes du Code des marchés publics à savoir transparence, équité et libre- concurrence.» « Mais ce souci du Code, tous ne l’ont pas…
Et souvent pour faire passer des gros marchés, certaines collectivités n’hésiteraient pas à pratiquer « le saucissonnage ». Derrière ce terme un peu barbare, un principe très simple : diviser un marché en plusieurs pour faire plusieurs MAPA. Ainsi, on peut continuer à travailler avec le même prestataire de manière directe…ni vu ni connu, si l’on peut dire. Constat non démenti par notre source. « Oui, ça existe. Il nous arrive de privilégier des prestataires avec lesquels nous travaillons depuis longtemps surtout dans les commandes de services ». Autrement dit, le gré à gré, quand il n’est pas cadré, permet de conforter les vieilles habitudes…Difficile de favoriser les petites boîtes, donc. Propos confirmés par le responsable marché. « Favoriser les jeunes entreprises de banlieue, c’est du vent ! » Face à ce système totalement opaque, Adoum Djibrine- Peterman jette un regard lucide. « L’an dernier, on était dans l’auto- flagellation. Aujourd’hui, on se dit que de grandes entreprises nous font confiance. On sait maintenant comment ça marche et notre place, on va la prendre !»
Nadia Moulaï
Par Anonyme