Les investisseurs de BAC ne sont pas des anges
Jeudi 01/01/2009 | Posté par Elisa Mignot
Avec une première boutique de cosmétique ethnique ouverte il y a mois, Inaya, le fond d’investisseurs sociaux voudraient lancer à terme toute une chaîne en banlieue. On en oublierait presque qu’ils font aussi du business
BAC comme Business Angels des Cités. BAC aussi en référence à la célèbre brigade anti-criminalité, un clin d’œil que ce fond d’investissement fait à son public, les entrepreneurs de banlieue. Né en 2007 de la rencontre entre le désormais fameux entrepreneur du Val Fourré, Aziz Senni, et les grands patrons et spécialistes de la finance en France, le fonds fait aujourd’hui son plus gros investissement dans l’enseigne Inaya. Après la restauration halal, les pâtes à emporter et l’artisanat marocain sur le net, il a choisi la cosmétique ethnique. L’occasion d’une plongée dans le grand fond de banlieue…
Champagne, fond de teint, petits-fours, gloss, mignardises, huiles essentielles, l’inauguration d’Inaya, boutique de cosmétique ethnique a réuni du beau monde place du Caquet à Saint-Denis. Créateurs, associés, partenaires, amis et mêmes quelques clients se pressent autour du buffet et des étales de produits de beauté venus du monde entier. Peaux noires, métisses et bronzées sont à l’honneur. La beauté ethnique est un concept mais surtout un marché-porteur déniché par l’entrepreneur Raoul Sodjinou et porté par BAC.
La boutique de 200m2 aux couleurs bleu et chocolat est le résultat d’un long processus et, tous l’espèrent ce soir, le début d’une grande aventure. Le fond d’investissement BAC n’est pas un petit joueur. Avec 5 millions d’euros de fond, les 90 business angels comptent bien faire des affaires. Des affaires en banlieue. Car la spécificité de ce fonds presque comme les autres est de miser sur des entrepreneurs issus des banlieues et sur ceux qui veulent créer de l’emploi en banlieue.
« Nous voulons prouver que les entreprises en banlieue peuvent réussir, explique Bénédicte de Saint-Pierre, présidente du Directoire de BAC, et s’il y a réussite, nous devons gagner de l’argent. La cohérence de notre démarche en dépend. » Comme dans tout fond, les investisseurs mettent une certaine somme d’argent à disposition des projets, somme qu’ils entendent faire fructifier. « Nous avons annoncé une rentabilité normale à nos membres, poursuit la Présidente, c’est-à-dire à un taux entre 15 et 25% de retour sur investissement sur environ 3 à 7 ans. »
Bien sûr, les grands patrons et financiers ont été séduits par le concept social de BAC mais que les choses soient claires : « BAC ne fait pas de l’assistanat mais du bu-si-ness », articule Patrick de Giovanni, directeur associé du grand fonds Apax et parrain BAC du projet Inaya. Quelques 300 000 euros ont été investis parce que le comité d’investissement du fond a estimé que le marché de la beauté ethnique était engageant et le projet de Raoul Sodjinou prometteur. Patrick de Giovanni qui a investit de son argent personnel à hauteur de 100 000 euros dans BAC, compte bien « revendre ses parts quand ce sera mûr. »
Un investissement qui ne permet en rien à ces business angels de bénéficier d’avantages fiscaux… d’abattement sur la fortune, par exemple. « BAC n’est pas une Société de Capital-Risque », précise Bénédicte de Saint-Pierre. [Les SCR exonèrent leurs sociétaires d’impôts sur la fortune]
Une affaire d’argent donc mais pas seulement. De temps aussi. Car, depuis février dernier, une rencontre hebdomadaire réunit Raoul Sodjinou et ses associées, la présidente du Directoire et Patrick de Giovanni. Les conseils et les intuitions de ces experts de la finance – le directeur d’Apax a 25 ans de métier et 200 sociétés financées à son actif – n’ont pas changé le projet déjà bien abouti des créateurs mais lui ont donné une autre ampleur. « Nous avons reformaté notre business plan, se souvient Raoul Sodjinou, ils nous ont encouragé à voir les choses en grand sans forcément regarder la contrainte de l’argent. » Résultat : une grande boutique, dans un grand centre commercial et dans le grand pôle francilien de la cosmétique ethnique : Saint-Denis. Et ça n’est qu’un « galop d’essai », ajoute l’entrepreneur. « On veut poser les bases d’un concept et dupliquer l’expérience. Nous espérons ouvrir une autre boutique dès l’an prochain puis… » « C’est un magasin-pilote, renchérit Patrick de Giovanni, il y a un potentiel d’une trentaine de magasins en France. »
Entrepreneur de banlieue, oui, mais à vocation nationale. L’origine de son concept est en banlieue certes mais « il faut savoir évoluer, sortir de la banlieue et s’adresser à un public plus large pour grossir », affirme Raoul Sodjinou. C’est son expérience qui parle. À 40 ans, cet entrepreneur aguerri, expert de la beauté ethnique, a déjà eu son entreprise, créé une marque, géré plusieurs boutiques et salons. Avec un emprunt au Crédit Lyonnais et un prêt d’honneur auprès d’Entreprendre 93, il reste l’actionnaire majoritaire dans son entreprise. « BAC est un associé, résume-t-il. Avoir un gros investisseur à son capital a des avantages mais, ajoute-t-il, implique certaines contraintes dont il faut avoir conscience. » BAC est très ouvert, il le dit volontiers, mais il n’est pas toujours évident pour un porteur de projet venu de banlieue de « savoir décoder ce monde et les règles de l’investissement. Il faut être armé », prévient-il.
« Nous voulons des sociétés existantes ou prêtes à lancer », complète Bénédicte de Saint-Pierre. La valeur des hommes, un marché-porteur et la rentabilité : les critères de sélection de BAC sont « classiques », constate-t-elle. « Nous sommes une société d’investissement et non un accompagnateur à la création d’entreprise », résume la présidente du Directoire. Depuis la création, le fonds a reçu une cinquantaine de dossiers ; une quinzaine ont été étudiés, 7 ont été financés. À terme, les business angels envisagent de financer 7 projets par an. Mais la réussite du fonds dépend de la réussite des premiers projets. Pour une fois, la finance et la banlieue font cause commune… enfin certains risquent peut-être moins que d’autres.
Elisa Mignot
Par Anonyme