Les épiciers, le premier business de banlieue (et d’ailleurs)
Mercredi 18/03/2009 | Posté par Marlène Schiappa
On recense deux mille épiciers en banlieue parisienne. Ils font la grande partie de leur chiffre la nuit et les dimanches, quand les supermarchés sont fermés, et commencent à sentir les effets de la crise.
Tout le monde a déjà fait appel à « l’épicier », « l’Arabe », « chez (son prénom) », selon le degré d’intimité et de respect. Qui pour acheter un pack de Coca à 29 Euros 50 (après hypothèque de ses organes), qui pour faire l’acquisition d’un paquet de coquillettes à 15 Euros (payable en 3 fois). Surtout en banlieue parisienne, où les supermarchés sont parfois éloignés de certaines zones d’habitations.
Les épiceries sont le plus souvent tenus par des immigrés, les seuls prêts à assumer les horaires imposés par ce business. Elles sont ouvertes 7 jours sur 7, et la plupart du temps jusqu’à minuit voire une ou deux heures du matin. Tout dépend de l’emplacement et de l’intérêt de rester ouvert ou pas.
On recense à l’heure actuelle environ 2000 épiceries en banlieue parisienne. Mais comment perdurent-elles face à la concurrence des hypermarchés, voire des discounters ? La quasi totalité de leur chiffre s’effectue en fait lorsque ces grandes enseignes sont fermées, lorsque l’épicier devient le seul recours possible, c'est-à-dire le soir et le dimanche. Mais il faut tout de même rester disponible la journée, pour dépanner, « au cas ou ». Khaled, qui travaille en Seine-Saint-Denis, nous précise : « Le problème c’est qu’aujourd’hui ces grands groupes restent ouverts de plus en plus tard. Et lorsque l’Etat légifère sur le travail le dimanche, c’est pour nous une petite mort ! » Les clients de la journée sont plutôt des personnes âgées ou des mères de famille qui veulent s’éviter la cohue des grands magasins, en fin de journée, ce sont les lycéens qui viennent s’offrir des sucettes ou des biscuits, et le soir, les fêtards en quête de rab de boissons ou de chips.
Tous les épiciers ne sont pas logés à la même enseigne. Ahmed est propriétaire de son commerce. « Il y a quelques années, ici, c’était un Félix Potin. J’ai racheté ce commerce en sachant que ca fonctionnerait. Vu que je suis situé tout près de Paris, il y a du passage. Mais nous sommes obligés d’augmenter nos prix régulièrement, nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas stocker et nous devons acheter par petites quantités ce qui nous revient plus cher. » D’autres sont locataires de leur fond de commerce. « J’aimerais devenir propriétaire bien sûr. Mais je devrais acheter l’immeuble pour ca ! » explique Khaled en plaisantant.
Youssef, lui, vient de s’installer. Il nous relate ses difficultés pour financer son achat. « J’ai fait une étude de marché, un business plan, j’ai 10 garanties avec mon associé qui est propriétaire de plusieurs appartements, mon dossier était en béton. Nous avions 50% d’apport personnel ! Nous avions les données chiffrées de l’ancien propriétaire et savions que le commerce fonctionnait bien. La banque m’a renvoyé un courrier de refus. Ils n’ont plus d’argent, soi-disant. J’ai dû financer 90% de ma poche et prendre le reste en crédit auprès de l’ancien propriétaire. D’autres s’organisent avec les fournisseurs et achètent la marchandise à crédit...»
La concurrence est rude. A Saint Ouen, par exemple, on trouve dix épiceries pour une ville de 40 000 habitants. Les prix sont variables d’un commerce à l’autre et d’une commune à l’autre. La majorité de leur chiffre est effectué sur l’alcool - la bière en particulier. Certains commerçants cassent les prix et il n’est pas rare d’observer une différence d’un Euro d’un commerce à l’autre.
« Tout dépend de votre secteur d’activité. Sur Pigalle, par exemple, ils achètent le pack d’eau à dix neuf centimes et le revendent un euro. Ils sont dans un endroit ultra touristique et ne travaillent quasiment que la nuit. Moi qui suis en banlieue, je l’achète entre vingt et vingt cinq centimes et le revend cinquante ! Avec la crise il faut s'accrocher ».
La crise, justement, tous la ressentent. La phrase « Avant, ça marchait bien… » revient dans toutes les bouches. Les ménages, plus regardants, préfèrent désormais faire 5 minutes de file d’attente en plus et se passer de la conversation chaleureuse de l’épicier pour payer moins cher leurs denrées alimentaires et de « petite urgence » (litière pour chats, couches pour bébé, serviettes hygiéniques, gâteaux et boissons se retrouvent dans la plupart des paniers). Jusqu’ici, il est encore possible de s’approvisionner dans ces petits commerces. Mais demain, aurons nous encore notre « épicier du coin » ?
Marlène Schiappa
Par Anonyme