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Le Halal n’est pas une marchandise, mais permet l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs !

Vendredi 17/04/2009 | Posté par Nadia Hathroubi

« Tout le monde veut sa part du halal », c'est en partant de ce constat que Fateh Kimouche, 32 ans, a décidé de lancer Al-Kanz, un blog professionnel qui répond au besoin d'une nouvelle génération de consommateurs musulmans attentifs au contenu de leur assiette. Rencontre.

Quel a été le déclic pour créer, Al-Kanz, le 1er site des consommateurs musulmans?

La France connaît aujourd'hui une révolution sociologique silencieuse avec l'émergence d'une nouvelle catégorie socio-professionnelle : celle des enfants des immigrés de la première génération, dont je suis. Connecté depuis 1996 sur le net, j'ai vu comment nous sommes venus à Internet et comment nous nous ne le sommes approprié. Parallèlement, j'observais la venue sur le marché d'acteurs économiques historiques, notamment pendant le mois de ramadan, mais aussi l'émergence massive d'entrepreneurs musulmans. D'un côté donc des consommateurs, de l'autre des acteurs économiques. Entre les deux, personne. Bloggueur depuis 2002 et aimant écrire, j'ai décidé de lancer le blog d'Al-Kanz en octobre 2006. J'ai rapidement trouvé un lectorat qui depuis grandit.

Que signifie Al-Kanz?

Trésor en arabe, mais le nom actuel n'a rien à voir avec l'orientation même du site. C'était à l'origine le nom que j'avais suggéré à un ami qui avait un projet d'envergure nationale. Le projet n'a pas abouti et cet ami a bien voulu que je garde le nom.

Votre slogan "le halal n'est pas une marchandise" est un coup de gueule?

Non, pas du tout. Je ne suis pas dans la revendication. C'est un clin d'oeil au slogan d'Attac "L'homme n'est pas une marchandise". Aujourd'hui, la manne que représente la consommation des musulmans en France attise tous les appétits. C'est de bonne guerre, il n'y a pas à s'en offusquer. En revanche, on ne peut accepter que sous prétexte que l'on vend aux musulmans on peut mettre de côté l'éthique et la morale. Le halal est évidemment bien plus qu'une simple norme. Il renvoie à un ensemble de principes dont on ne peut faire l'économie. Et si le business est tout à fait compatible avec le halal, il ne doit jamais se faire à son détriment. C'est ce que je veux signifier avec ce slogan.

Est-ce que l'on peut dire que vous occupez une niche?

Oui, car Al-Kanz a un positionnement sinon unique tout au moins original, à double titre : il est devenu au fil du temps une référence pour les consommateurs musulmans. La thématique est précisément celle des consommateurs musulmans. Cela dit, ce qui était il y a quelques années un marché de niche est en passe, si ce n'est déjà le cas, de devenir un marché de masse.

Combien de visiteurs uniques par jour?

Suffisamment pour intéresser les annonceurs (sourire).

Quelle est votre ambition, sortir la version papier comme CasherInfo?

Non. Ca n'aurait aucun sens. Ce serait même une erreur monumentale. L'heure n'est plus au papier. Mon ambition est, me concernant, de faire de Hidaya Group, ma société, une société pérenne. S'agissant du site lui-même, eh bien de continuer à grandir et à blogguer avec toujours plus de lecteurs, en leur donnant envie notamment d'entreprendre mais aussi de se réapproprier et d'assumer sans complexe leurs spécificités.

Et pourquoi lancer une société ?

Je suis sur un segment porteur : les consommateurs musulmans représentent un relai de croissance inespéré dans de très nombreux secteurs de l'économie. Tout a été évident en mars 2007, quand je me suis rendu compte que j'étais concerné par l'équation classique : trafic suffisant + annonceurs = monétisation possible. J'ai alors décidé de me lancer. Et fin 2007 j'ai intégré une boutique de gestion, pour créer ma société en octobre 2008.

Vous encouragez beaucoup les entrepreneurs sur votre site, pourquoi?

L'entrepreneur, à la différence de l'associatif ou du politique, est dans une réalité à laquelle il ne peut déroger. Il a l'obligation de changer le monde, parce que le monde lui demande d'agir tous les jours. Dans les banlieues, là où se trouve la majorité de mes lecteurs, les postures de victimisation, de geignerie et d'assistanat sont l'une des nombreuse causes de la sclérose dans laquelle se trouvent ces territoires. Quand vous êtes entrepreneur, vous ne pouvez pas pleurnicher. Vous devez faire tourner la boîte. Si je promeus autant l'entrepreneuriat, c'est pour dire à ceux que je côtoie : "Ok, on a compris, on vous a entendu pleurer. Vous avez peut-être de bonnes raisons de pleurer. Mais maintenant stop ! Prenez vos responsabilités. N'attendez pas que tout vous tombe du ciel. Allez-y, il y a tant à faire et faites." Je suis persuadé que toutes les banlieues de France sont des Silicon Valley en puissance. Mais faut-il encore que chacun se défasse de cette propension à chercher les problèmes ailleurs qu'en soi-même. Parce que même si personne ne peut nier les difficultés des habitants de banlieues, les solutions existent et cela commence par la prise en charge de soi-même par soi-même. J'ajouterai une chose, bien que j'ai une formation en philosophie politique, ou peut-être précisément parce que j'ai une formation en philosophie politique, je reste persuadé que la banalisation - je ne parle volontairement pas d'intégration ni de réussite ou autres concepts dévoyés et à mon avis inappropriés - ne passera pas par la voie politique, et peu par l'associatif, mais bien par l'entreprise.

Plus prosaïquement, et si je peux me permettre, être entrepreneur c'est choisir ses propres contraintes. Sans parler évidemment de tout ce qu'il y a de formidable dans la création et le développement d'une entreprise : la fraîcheur, l'aventure, le rêve et la farouche volonté de (re)faire le monde, à son niveau.

Est-ce un handicap selon vous d'être issu de l'immigration et d'un quartier pour entreprendre?

Ca peut l'être si l'on se complait dans le discours victimaire et que l'on justifie son inaction par mille et une causes, toujours externes (racisme, ghetto, etc.) A contrario, si on n'attend rien de personne et que l'ambition est là, que la volonté de faire et d'agir sans attendre que quelqu'un nous prenne par la main est là, et évidemment que le travail est là, c'est même un avantage. Quand vous venez d'une cité, vous êtes de fait dans la difficulté. Si depuis tout petit vous avez composé avec ce milieu peu propice en réalité à la lascivité, vous êtes blindé et armé pour vous lancer dans l'entrepreneuriat. Vous êtes tenace, vous en voulez, tout projet est un défi et tout défi est motivant. Reste que cette motivation ne doit pas être ternie par un esprit revanchard (tout aussi présent dans les cités que la victimisation à outrance).

Quelles sont les principales embûches que vous avez rencontré?

Je ne peux pas répondre à cette question, car je ne considère pas avoir rencontré d'embûches. Comme tout chef d'entreprise, je fais face tous les jours à des situations que je dois gérer. Le jour où je considérerai que ce que j'ai à gérer relève de l'embûche, je penserai à devenir salarié (sourire).

Propos recueillis par Nadia Hathroubi

Nadia Hathroubi -