L’orientation des filles de banlieue : coiffeuse, esthéticienne ou chanteuse de R’n’B ?
Lundi 23/02/2009 | Posté par Marlène Schiappa
« Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? Fée, princesse, maîtresse d’école ? » Les stéréotypes sexuels vont bon train quand il s’agit d’envisager la future carrière de jeunes filles. Mais en banlieue, ça donne plutôt ça : « Qu’est-ce que tu feras quand tu seras grande ? Coiffeuse, vendeuse de vêtements ou esthéticienne ? » Comme aucune étude précise n’a été faite sur le sujet, le Business Bondy Blog est allé directement à la rencontre d’enseignants, de lycéennes et d’anciennes élèves de banlieue pour avoir leur avis sur le sujet : débat animé au programme.
Karine, grande métisse de 16 ans et élève de seconde, veut devenir « Chanteuse de R’n’B. Mais si je n’y arrive pas, je ferai du mannequinat ! » « Elle a même fait le casting de la "Nouvelle Star", hein ! » confirme son ami, plus petit qu’elle, mais fier comme un coq, pendu à son bras. « Ma mère espère que je change d’avis et que je prenne un métier normal, comme coiffeuse par exemple », soupire Karine. « Ma grande sœur a fait un bac pro secrétariat, elle est standardiste depuis dix ans. Moi je veux pas m’humilier avec un poste comme ça, mal payé et exploité », affirme Shirel, une amie de Karine.
« J’aimerais monter ma propre boîte et travailler pour moi seule. Un salon de beauté par exemple.Ou un magasin de vêtements, je ne sais pas encore. » Dhina, elle, est en 1re L mais elle a déjà une ambition précise : « Je voudrais devenir ingénieur informatique. Quand je dis ça, on se moque de moi. Récemment j’ai appris que j’aurais dû aller en S ou en STI pour devenir ingénieur, mais on m’a mis en L par défaut. Du coup, je ne sais pas si je pourrais faire une école d’ingénieur malgré ma motivation. »
Les handicaps se multiplient pour les jeunes filles comme Dhina : « Comme si ça ne suffisait pas ! Si je ne suis pas discriminée pour mon sexe, pour mon origine, pour la ville où se trouve mon lycée, pour mon milieu social – mes parents ne pourront pas payer d’école privée – je serai discriminée pour ma mauvaise orientation en section littéraire. » Le courage ne manque pas à Dhina, elle doit rentrer réviser et explique en souriant que « quand [elle] aura réussi à devenir ingénieur informatique, [elle] aura deux fois plus de mérite que les autres ! »
Sandra, qui a maintenant la trentaine, explique au contraire : « J’ai toujours vécu en banlieue et au lycée, je n’ai jamais senti qu’on me poussait plus vers une voie ou qu’on m’en bouchait une autre. On m’a orientée par rapport à mes aptitudes. J’ai des amies un peu dans tous les secteurs du génie civil à la coiffure en passant par les finances... J’ai toujours eu l’impression que tout était possible, il suffisait d’avoir envie et bien entendu d’en avoir les capacités. » Une chance qui tient beaucoup au casting des professeurs et à l’implication des familles. Alain, prof principal d’une classe de 3e dans un collège du Val de Marne, met justement en cause les parents.
« Quand on dit, après un conseil de classe, qu’un élève serait bien en filière technique ou technologique, les parents s’insurgent : ils veulent tous que les enfants aillent en seconde générale, puis à l’université, faire une licence d’histoire de l’art ou de fiscalité appliquée. C’est tout un travail de pédagogie que nous devons faire pour expliquer que, quand un élève a les capacités et l’envie de faire des études supérieures, c’est merveilleux, mais ce n’est pas toujours le cas. Il n’y a aucune honte à passer un CAP ou à devenir plombier : un bon plombier gagne très bien sa vie, gère des salariés, et peut faire vivre sa famille. Ce n’est pas ce que veulent les parents pour leurs enfants ? C’est la même chose pour les filles, pourquoi devenir esthéticienne serait-il déshonorant ? »
Son collègue, Jean-Philippe, prof de sport, a un autre avis : « C’est vrai pour les garçons ce que tu dis. Mais souvent les familles ne poussent pas les filles, une mère m’a même dit clairement : On va lui faire faire de la coiffure jusqu’à ce qu’elle se marie, comme sa sœur. Et avant que vos lecteurs ne fassent des amalgames déplacés, non, ce n’est pas une famille d’immigrés, c’est une famille franco-française. »
C’est en partant de ce constat que Catherine Barba, chef d’entreprise et très impliquée dans les thèmes de l’orientation, l’emploi et l’entreprenariat en banlieue, a fondé Produnjour.com, un site partenaire entre autres de Phosphore, un magazine lycéen haut de gamme. Il met en relation les professionnels et les lycéens et leur permet de découvrir, pendant une journée, le métier auquel ils aspirent. « L’Éducation nationale ne peut pas tout faire, nous, acteurs de l’entreprise, nous l’aidons à mener à bien cette mission », explique-t-elle.
Un coup d’œil suffit à nous convaincre que, quand on leur en donne les moyens et qu’on leur montre que « c’est possible », les jeunes filles de banlieue ont de l’ambition : Shanaize d’Aulnay-sous-Bois veut passer une journée avec un journaliste, Delphine de Livry-Gargan avec un scénariste, Aude d’Argenteuil avec un architecte, Sherifa de Saint-Denis avec un pédiatre, et Jada du Val d’Oise avec un juge aux affaires familiales…
Mais pas de triomphalisme : si ces jeunes filles ont fait la démarche de s’inscrire sur ce site, c’est sans doute qu’elles sont conseillées ou qu’elles ont déjà mené une réflexion sur leur orientation et leur future carrière. Une chance (un droit ?) que beaucoup n’auront pas, au vu des dernières restrictions budgétaires annoncées. Si la banlieue est le parent pauvre de l’Éducation nationale, alors les filles de banlieue sont de lointaines cousines à qui on envoie une carte postale une fois par an pour les oublier la conscience tranquille tout le reste de l’année. Une fois par an : le 8 mars*, par exemple.
Marlène Schiappa
*Journée internationale des femmes.
Par Anonyme