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L’impossible enquête des transferts d’argent

Mercredi 11/02/2009 | Posté par Elisa Mignot

C’est un peu l’histoire d’un fiasco que nous allons vous raconter… à l’origine nous avions bien d’autres ambitions mais hélas tout ne s’est pas déroulé comme prévu. Alexander est allé l’année dernière au Sénégal, il y a fait un travail sur les transferts d’argent venus de l’étranger : banques, Western union ou Moneygram, confrérie mouride et bana-bana, tout y est passé. Nous avions donc décidé de voir comment, de France, cela s’organisait. Malgré notre persévérance, notre enquête française a avorté. Nous vous livrons-là les épisodes de ce drôle d’échec et vous conseillons de lire les articles d’Alexander qui paraitront sous peu.

Épisode 1 : Nous décidons de partir à la recherche d’un membre de la confrérie mouride, cette communauté musulmane sénégalaise proche des soufis, très bien implantée là-bas – plus de 4 millions de sénégalais en font partie, le président compris – et qui a la réputation de brasser beaucoup d’argent. Alexander avait cru comprendre que des sommes d’argent étaient envoyées par la diaspora sénégalaise aux dignitaires locaux (à Dakar et surtout à Touba, le centre spirituel des mourides) et que celui-ci, en échange, veillait à ce que la famille sur place ne manque de rien.

Après moult recherches – les mourides sont plutôt discrets en France : ils ont une adresse à Taverny mais impossible de trouver un numéro de téléphone, même à la mairie, ils n’avaient aucune info –, le désormais fameux blogueur Chaker nous annonce qu’il connaît un mouride. Il était même son conseiller financier mais secret professionnel oblige, il ne nous dira rien. Quelques jours passent, rendez-vous est pris au téléphone, et nous voilà reçus par l’affable cheikh Suleimane.

Épisode 2 : Dans cette grande et silencieuse maison de Taverny, qui était jadis un orphelinat, il y a, au rez-de-chaussée, une mosquée et, aux étages, une enfilade de pièces aux étages, des chambres et des salons. Cheikh Suleimane nous accueille en haut de l’escalier dans sa blanche robe. Très rapidement, il ferme le chapitre de l’argent : non, il n’y a pas de transferts d’argent qui passent par des mourides de France à ceux du Sénégal. C’est vrai, cette grande bâtisse a été achetée par Cheikh Saliou Mbacké, en son nom et avec son argent personnel. Nous n’en saurons pas plus. Cheikh Suleimane est beaucoup plus bavard sur le mouridisme, ses principes, ses origines. Sujet fort intéressant, certes, mais ça n’était pas celui que nous entendions traiter.

Cheikh Suleimane a malgré tout décidé de nous aider – les mauvaises langues pourront dire de détourner quelque peu notre attention. Avant même notre arrivée, il avait essayé de joindre un bana-bana (également appelé « modou-modou », précise-t-il) de sa connaissance. Un bana-bana, Alexander en a suivi un pendant des jours au Sénégal : ce sont des marchands itinérants qui parcourent l’Europe et l’Afrique, le bitume parisien comme les pistes sénégalaises. Il arrive que des membres de la diaspora leur confient des sommes d’argent pour leur famille qui habitent dans les villages reculés, loin des banques et guichets Western Union. Le premier qu’il appelle refuse de nous voir…ils parlementent en wolof, mais le bana-bana se méfie. Il a déjà témoigné dans une émission pour Capital et juste après il a eu un contrôle fiscal. [Cette émission intitulée « L’Or des marabouts » a été diffusée en janvier 2002 sur M6]

Épisode 3 : Le très aimable Cheikh Suleimane décide d’appeler une autre de ses connaissances, bana-bana lui aussi. Appelons-le M.S – vous apprendrez par la suite qu’il tient à rester anonyme. M.S est d’accord pour nous rencontrer. Nous prenons son numéro et quittons Taverny avec le sentiment que nous nous sommes lancés dans une enquête plus difficile que prévue. Quelques jours plus tard, nous finissons tout de même par obtenir un rendez-vous avec M.S dans un café sur la plutôt chic avenue Kléber, à Paris.

Fines lunettes, petite chemise, M.S a bien des airs d’homme d’affaires, mais il se présente comme le « représentant des Sénégalais en Europe ». Il nous pose des questions sur le Business Bondy Blog et le travail d’Alexander au Sénégal. En retour, nous lui demandons s’il est lui-même bana-bana et si non, s’il peut nous en présenter. Il nous interdit formellement d’ouvrir nos cahiers et de prendre des notes. Ceci est un rendez-vous, pas une interview : il veut apprendre à nous connaître, savoir si nous sommes dignes de sa confiance. L’émission Capital revient sur la table. M.S nous explique que cela a fait beaucoup de mal à la diaspora sénégalaise en France. Et il insiste sur le fait que les bana-bana ne font pas des allers-retours avec l’argent ; d’ailleurs il ne comprend pas trop de quoi on parle. Mais il décide tout de même d’examiner notre proposition et nous propose de le recontacter le temps qu’il réfléchisse. Généreux, il nous donne un dernier conseil : ne parlez pas d’argent avec des Sénégalais, ça les met mal à l’aise.

Épisode 4 : Après plusieurs jours de silence radio, nous parvenons à contacter M.S, qui est à ce stade-là de l’enquête notre seul et unique espoir. Il nous dit qu’il préfère nous donner des contacts plutôt qu’être interviewé… Il ajoute : « Comment allez-vous me régler ? » Stupeur et énervement chez Alexander et moi mais, avec un calme olympien nous lui répondons, qu’au risque de le décevoir, nous ne paierons pas pour ces informations. M.S nous a répondu qu’il allait repenser à tout ça. Depuis, il n’a plus jamais décroché.

Elisa Mignot

Elisa Mignot -