L’immobilier de banlieue, flingué par la crise
Mercredi 03/12/2008 | Posté par Elisa Mignot
Alors qu’aux États-Unis, des milliers de familles surendettées sont contraintes de quitter leur maison, avons nous une crise des suprimes dans les banlieues françaises ? Qui sont les premiers touchés ? Qui en profite ?
« Non, nous ne sommes pas dans la même situation que les États-Unis, déclare d’emblée Kamel Yahiaoui, les banques ont été plus sérieuses en France, elles n’ont pas financé de personnes trop endettées. » Le directeur d’une agence immobilière de Bondy explique que la tradition dans l’hexagone est au crédit à taux fixe plutôt que variable [ce qu’on appelle le « crédit revolving », pratique sur laquelle nous allons revenir prochainement avec une enquête]. Les mensualités des emprunteurs ne vont donc pas doubler ou tripler comme outre-Atlantique. « Ici, en fait, on est bien », souffle-t-il, comme pour se rassurer. Car Kamel Yahioui est tout de même assez inquiet.
L’époque où une bonne quinzaine d’acquéreurs potentiels franchissaient chaque jour le pas de son agence de la rue Gabriel Péri est révolue. Aujourd’hui, ils ne sont que 2 ou 3, et encore ! « On attend le client. » En cause : les banques. « Elles ne jouent pas le jeu et demandent de plus en plus de fonds propres à leurs clients. » Il explique que désormais, pour acheter un 2 ou 3 pièces à 150 000euros à Saint-Denis, elles vont demander 30 000 euros d’apport, ce à quoi s’ajouteront les 13 000 euros de frais de notaires. « C’est énorme ! Surtout dans mon secteur ! »
Les injonctions du gouvernement à l’attention des banques n’y font rien. « Des menaces en l’air », commente le directeur d’agence. Il s’interrompt, car un de ses commerciaux, Karim, 24 ans, a besoin de lui. Avant, Kamel Yahiaoui avait 7 employés, il n’en a plus que 4. Avant il « s’arrach[ait] les cheveux le samedi tant l’agence était pleine. » Maintenant, tous ses agents se concentrent sur leur portefeuille de biens à vendre. Ils rappellent les vendeurs, les rassurent, leur expliquent la situation et leur demandent de baisser leur prix s’ils veulent vendre. « On fait de la pédagogie, sourit-il, mais le problème c’est que nous avons mauvaise réputation. On nous prend pour des escrocs. Les clients nous disent que ça n’est pas vrai, qu’on veut juste brader leur bien. »
Côté location, les effets de la crise se font sentir d’une autre manière. Les clients sont toujours aussi nombreux – ce sont d’ailleurs eux qui peuplent l’agence ce matin – mais les retards, les impayés, les demandes de paiements décalés ne cessent d’augmenter. « Les locataires ont du mal, ils sont en difficultés », constate le directeur. Autre conséquence notée : de plus en plus de gens qui veulent louer sont recalés car ils ne remplissent pas les critères requis. « Parfois, c’est la misère qui franchit le pas de la porte. C’est dur. »
Mais, pour lui, les effets de la crise financière vont bien au-delà de son pas de porte, au-delà même de l’immobilier. « Les gens de Saint-Denis ne peuvent plus tellement acheter car, n’étant en général pas très riches, ils sont parmi les premiers touchés par ces problèmes de financements, poursuit Kamel Yahiaoui, lui-même originaire de Saint-Denis. La plupart des gens qui achètent viennent donc de l’extérieur : de Paris, des Hauts-de-Seine… » Il ajoute : « Et ça change aussi l’électorat. »
Son but aujourd’hui est de tenir. « Tenir 2 ou 3 ans, le temps que ça reprenne », espère-t-il. Tout à l’heure, Karim l’appelait pour « faire une petite vente ». Il soupire et conclut, avec un sourire discret : « C’est ça qui nous permet de continuer. »
Par Elisa Mignot
Par Anonyme