Kamel échange cours de peinture contre aide aux concours
Lundi 09/03/2009 | Posté par Elisa Mignot
Camille, Kamel et Erwan travaillent pour « Ambition Campus », une association qui fait se rencontrer des étudiants de Sciences-Po et des lycéens de ZEP. Les uns donnent des cours aux autres sans qu’il soit question d’argent, mais d’échange de talents. BBB a passé un après-midi dans un café avec eux
« Où en est le débat sur les statistiques ethniques en France ? », « Savez-vous qui est Simone Veil ? », « Qu’est-ce que la Halde ? », « Quel est le parcours de Yazid Sabeg ? », « Que pensez-vous du Plan Banlieue ? »… Les questions fusent et Kamel est un peu perdu. Le bruit de percolateur qui inonde le café le force à hausser la voix, les conversations des accoudés au comptoir le déconcentrent. Mais surtout le regard perçant et interrogateur de Camille et Erwan le déstabilise.
Il n’est pas encore prêt pour l’oral où il devra présenter le sujet d’actualité qu’il a choisi : « Le malaise de la France avec ses minorités. » Mais « il a progressé », disent en chœur ses deux « parrains », anciens étudiants de Sciences-Po, et a beaucoup travaillé depuis la dernière fois. « Jusqu’à trois heures et demie du matin hier », souffle-t-il.
Kamel : « J’ai des idées mais je n’arrive pas à les sortir. »
Camille : « Tu sais, on dit que ce qui se conçoit bien, s’énonce bien… Moi je pense que tu ne connais pas assez ton dossier. Il faut des chiffres, des faits. »
Erwan : « Tu exprimes beaucoup trop ce que tu penses. Ton avis doit seulement arriver après une argumentation solide. »
Nous sommes vendredi après-midi. Comme toutes les semaines ils se sont donné rendez-vous pour préparer le concours de Sciences-Po. Kamel est en terminale au lycée Albert Einstein de Sainte-Geneviève-des-Bois (91), il veut devenir avocat. Einstein fait partie des lycées de ZEP conventionnés par Sciences-Po : certains de ses élèves peuvent tenter d’intégrer la grande école sans passer par l’écrit du concours d’entrée. Pour autant, il s’agit d’un « vrai concours », insistent les deux anciens sciences-pistes, qui ont fondé, sur une idée d'Hadj Khelil, l’association Ambition Campus en 2007. Les élèves sont présélectionnés dans leurs lycées où ils doivent rendre des travaux écrits puis passer un oral devant leurs professeurs. Seuls ceux qui franchissent ces étapes passeront l’oral de Sciences-Po.
Et d’ailleurs, Sciences-Po ou une autre grande école, peu importe, expliquent les « parrains », ce qui compte c’est de donner des clés à ces lycéens pour intégrer des formations prestigieuses et sélectives. « La motivation et l’intelligence, ils l’ont, pas besoin de nous ! », lance Erwan.
« C’est vrai, il y a plein d’associations qui aident des lycéens de quartiers ou de lycées défavorisés, explique Camille, mais notre différence est dans le principe de la valorisation mutuelle, du donnant-donnant. On les aide à préparer le concours et en échange, ils nous font profiter d’une de leurs compétences. Grâce à l’association j’ai pris des cours de théâtre, de boxe, d’arabe… »
La jeune femme concède que le principe n’est pas facile à mettre en place pour des raisons de temps et de lieux mais il est essentiel : « Il faut qu’il se passe quelque chose entre nous. Ça n’est pas un cours d’une heure et basta. Elle raconte qu’ils ont visité l’École militaire et le château de Versailles ensemble – « il y avait même le frère de Kamel », qu’il y a trois semaines ils ont été invité chez ses parents… « C’est ce genre de moments que j’attendais !, insiste Camille. C’est le meilleur moyen pour s’impliquer et c’est aussi une manière de dire qu’on est à égalités. »
Une fois l’oral blanc passé et son plan bien avancé grâce aux conseils de Camille et Erwan, Kamel est plus décontracté. Il parle de sa passion : la peinture. Sur les murs, sur les toiles, sur tout ce qui lui passe sous la main, il peint. Lui voudrait aider Camille et Erwan à peindre une toile. « J’aimerais leur faire faire une peinture qui corresponde à leurs intérieurs et à leurs personnalités, explique-t-il, ça n’est pas évident car beaucoup de gens ont chez eux une décoration qui ne leur va pas forcément. » Il parle de réalisme, d’art abstrait… il est bien loin du garçon timide du début.
« De vrais liens d’amitié se créent, dit Camille, enthousiaste. Et c’est triste à dire mais il faut forcer ces relations car aujourd’hui dans notre pays, elles ne sont pas évidentes. » Elle qui est très engagée politiquement dans la jeunesse UMP (elle est déléguée nationale en charge de la vie étudiante) se sent « utile » dans cette association, peut-être plus que dans les réunions politiques auxquelles elle participe. « Ça me fait bizarre de le dire mais vu mon milieu, mes parents, ma scolarité, je n’aurais sans doute jamais rencontré Kamel autrement, je ne serais peut-être jamais allée à Sainte-Geneviève-des-Bois… »
Kamel acquiesce. Depuis plusieurs mois, son quotidien a changé : il vient toutes les semaines à Paris et surtout ne voit plus l’intégration d’une grande école comme une mission impossible. « À la base, j’avais eu l’idée de passer le concours mais c’était loin. Et je me rends que sans eux, ça aurait été difficile. Il y a une semaine je ne savais même ce qu’était un plan !, sourit-il. Là, on a des rendez-vous, on se fixe des objectifs, ils me prêtent des livres. »
L’année dernière, sur les huit lycéens restés toute l’année au sein d’Ambition Campus, deux ont intégré Sciences-Po. Cette année, ils sont près d’une quarantaine à échanger leurs passions et leurs talents contre l’espoir de faire une grande école mais surtout contre la certitude d’avoir leur destin en main.
Le cours se termine. La nuit commence à tomber. Camille, Kamel et Erwan sont en pleine discussion. Ce soir ils vont ensemble au cinéma mais ne sont pas d’accord sur le choix du film. Kamel dormira ensuite chez Erwan car demain ils doivent visiter la cité de l’immigration et se rendre à la réunion hebdomadaire de l’association.
Elisa Mignot
Par Anonyme