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Hadj Khelil veut «banaliser la réussite». Mais la sienne reste une histoire incroyable

Mardi 25/11/2008 | Posté par Elisa Mignot

Il a grandi dans le 93, l’a quitté pour mieux y revenir créer son entreprise. Il était trader à la City de Londres, il a investi avec un immense succès dans les dattes d’Algérie et le chocolat bio. Consacré « Talent des cités » et « Talent de la création d’entreprise » en 2006, Hadj Khelil a tout de l’exemple parfait. Et pourtant… VIDEO EN+

Quand on l’a eu pour la première fois au téléphone, Hadj Khelil a précisé d’emblée qu’il ne voulait pas passer pour « l’arabe de service », pour « l’exemple de celui qui a réussi même s’il a grandi dans le 93 ».

D’accord, mais comment cacher le fait qu’il a fondé à 27 ans une société de négoce en matières premières, Bionoor, spécialisée dans l’importation de dattes, dont il est sept ans plus tard le patron heureux et prospère ? Hadj Khelil, lui, fustige la « théorie de la stigmatisation », de « l’artificiellement exceptionnel » : « Même quand ils me connaissent, les petits du quartier – il est installé à deux pas de la cité des Trois Mille à Aulnay-sous-Bois – me disent : "On ne pourra jamais faire comme toi" ! » Il milite donc pour une « banalisation de la réussite ».

« J’ai fait le choix de m’installer ici parce que c’est une zone franche, poursuit-il, mais aussi parce que j’ai compris que mon activité pouvait renvoyer un signal positif... Si les bons s’en vont, faut pas s’étonner que ça pète. » Et pour l’entrepreneur, les problèmes des banlieues ne sont pas liées à « des questions d’argent ou de désenclavement » : « Ce qu’il faut leur inculquer à ces jeunes, c’est le besoin d’aller plus haut. »

Il s’interrompt : « Vous voulez une datte ? Elles sont de l’année dernière car la récolte de cette année a lieu en ce moment même. »

Le récit de sa vie commence ainsi : « J’ai eu toute la chance qu’on peut avoir, alhamdulilah ! » De la boutique de son père – avocat et procureur en Algérie, réparateur de télé à Barbès à ses amours pour une maîtresse de maternelle qui lui ont donné le goût de l’école ; de son prof d’anglais génial au lycée Delacroix de Drancy à la fac de Saint-Denis, de Sup de Co à Paris à la mythique université britannique d’Oxford. Le tout agrémenté de petits boulots dans la sécurité et de folles nuits parisiennes... « Une relation à la vie qui m’a rassasié » et qui lui fait dire aujourd’hui qu’« en banlieue, on peut avoir une jeunesse géniale ».

« Vous voulez du chocolat ? Il est bio. » Car, en plus des dattes, il vend aussi du chocolat, de l’huile d’olive et des pâtisseries…explication sur le site de Bionoor où on lit que toute l’équipe « œuvre pour redonner toutes ses lettres de noblesse aux produits du terroir oriental ».

A la sortie d’Oxford, Hadj Khelil (Hadj parce qu’il est le premier mâle né après la mort de son grand-père qui avait fait 7 fois le pèlerinage à La Mecque) rentre dans une salle de marché à la City, cœur de la finance londonienne et mondiale. Il y reste 5 ans à « bouffer des équations dans tous les sens ». Peu à peu, il réalise qu’il voudrait faire quelque chose « plus en harmonie » avec lui-même. Cette période coïncide avec ce qu’il appelle « l’éveil de [sa] spiritualité ».

Il s’arrête, s’enfonce dans son canapé noir « plus sympa pour discuter » et cite Descartes : « se rendre maître et possesseur de la nature ». « On a perdu tout un pan de la sensibilité humaine dont la spiritualité est le vecteur principal », explique celui qui est aujourd’hui un musulman pratiquant. « C’était ma façon de le retrouver. Je suis moins rationnel que spirituel. »

Mais revenons-en au rationnel. Il se redresse : « Quitte à bosser 18 heures par jour, je me suis dit que je préférais bosser pour moi. Et à force de pédaler dans les dérivés sur les taux d’intérêts, je voulais du concret, j’avais envie de matières premières. » Attention, prévient-il, on entre dans sa période « J.R. Ewing ». Pétrole et métaux étaient inatteignables – « il fallait des centaines de milliers d’euros de fonds de départ » – il a donc continué ses études de marché jusqu’à ce que ses oncles lui rappellent que sa famille, en Algérie, possède depuis près de 200 ans des exploitations de dattes à la dérive. « Je n’avais même pas percuté. »

Il se frappe le front et investit d’un coup toutes ses économies londoniennes. La première année, ses exploitations sont ravagées par les criquets. La deuxième, les dattes arrivent en France pourries : il avait négligé l’emballage. « Des cartons low cost et locaux », s’amuse-t-il aujourd’hui. À l’époque, le coup a été dur. Il ne s’éternise pas et enchaîne : « Nous avons travaillé avec d’autres producteurs et implanté les premières cultures bio d’Algérie. En ce moment, on travaille, non sans difficulté, sur le commerce équitable. » De 2 tonnes de marchandises la première année, Hadj Khelil est passé à l’année suivante à 4 puis 8, 16, 32… Aujourd’hui, sept ans plus tard, il en est à 200 tonnes.

Depuis, il a diversifié sa production, traite avec de nombreux exploitants, livre chez Carrefour comme chez Fauchon, donne pour 20 000 euros de produits aux Restos du cœur et au Secours catholique à Noël. Mais là, il faut vraiment qu’il arrête de parler. Il a raté la prière de 15 heures dans la mosquée d’à côté – promis, il va la rattraper – et bientôt le début du cours de boxe de la salle Marcel Cerdan, en face, où il s’entraîne avec les jeunes du quartier.


Par Elisa Mignot

Vidéo : Chou Sin

Elisa Mignot -