À l’origine, il y a trois frères : Marcel, Nathan et Bernard. Le trio est destiné à reprendre le petit atelier du père, tailleur à Montreuil, cette petite ville de banlieue où ils ont tous grandi. Retouches et confections, l’atelier marche plutôt bien et la famille décide de racheter le bail de la boutique voisine… qui vend des radios, des téléviseurs et des réfrigérateurs. Nous sommes alors en 1957, l’électrodomestique en est à ses balbutiements. Le plus jeune, Bernard, est chargé d’écouler le stock restant. Pour cela, il prend quelques initiatives : il affiche les prix, livre gratuitement et dépanne au besoin. C’est un vrai succès : « Darty et fils électrodomestique » naît peu après, les prémices du fameux « contrat de confiance » également. 

« Ils y sont allés avec leur sensibilité, leur savoir-faire de détaillants, explique Monica Griso, la porte-parole de la marque au carré rouge qui appartient aujourd’hui à Kesa Electricals, le 3e groupe d’électroménager d’Europe. Comme pour les vêtements, ils ont fait du sur-mesure. »

C’est en mai 1968, après un voyage aux États-Unis, pays pionnier en matière de grandes surfaces commerciales, qu’ils ouvrent un magasin de 800m2 à Bondy. « C’était extrêmement innovant mais aussi risqué, rappelle la directrice de la communication, car à cette époque, le monde était en pleine crise pétrolière et la France en totale paralysie. » Mais le site commercial est très attractif – un grand terrain et la RN3 très passante – et les Darty sont convaincus que les Trente Glorieuses, cette période de forte croissance économique à l’origine du développement de la société de consommation, vont profiter à tout le monde.

Il fallait donc aller là où ce monde était ; et du monde, en banlieue, il y en avait. Dans les années 1960-70 – vagues d’immigration et exode rural aidant – elles ont connu un essor considérable. Autant de clients potentiels qui voudraient sans plus attendre profiter eux aussi des innovations de l’électroménager, des réfrigérateurs et des lave-linges qui s’affichaient en couleur dans ces publicités où les gens souriaient. Les Darty assistaient à l’émergence d’un marché de masse. L’implantation en banlieue fut évidente.

Aujourd’hui encore, la marque est héritière de cette histoire : seuls 20% de leurs magasins sont en centre-ville. Un ancrage en banlieue renforcé par les embauches que l’implantation d’un magasin Darty amène. « Par la force des choses nous sommes de gros recruteurs locaux, précise Monica Griso, et nous travaillons toujours avec les ANPE locales. C’est dans l’intérêt de tout le monde ! Du magasinier au manager en passant par les livreurs, les techniciens, les vendeurs, la palette de métiers est large. On touche toutes les couches de demandeurs d’emplois ! », explique avec enthousiasme la directrice de la communication. « Une politique de diversité dans le recrutement avant l’heure », conclut-elle.

Les frères Darty ont revendu leurs magasins, en 1989, à un géant britannique du bricolage. Difficile de savoir pour quelle somme mais assez pour que Bernard, le plus jeune des frères, se soit depuis exilé en Belgique et devienne l’un des plus célèbres expatriés français pour cause fiscale. Jessica Sebaoun-Darty-Sarkozy, celle que l’on appelle « l’héritière Darty » bien qu’elle ne soit pas la seule (étant une petite-fille des fondateurs), s’est elle exilée non loin de Bondy, à Neuilly. Peut-être une façon de rendre hommage aux origines banlieusardes de ses aïeux et de sa fortune.

Elisa Mignot