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« Clés de l’avenir » : les entrepreneurs appréhendent l’embauche de détenus

Jeudi 18/12/2008 | Posté par Elisa Mignot

Ouvrir les portes des prisons en ouvrant celles des entreprises est la mission que s’est donnée l’opération « Les Clés de l’avenir », menée conjointement par le Ministère de la Justice et le Medef. Son but : insérer des détenus de courte peine par le travail.

Tout a commencé par un protocole signé en mai dernier et, comme nous l’avions écrit précédemment, une expérimentation a depuis lieu en Seine-Saint-Denis. Mardi se tenait la présentation de l’opération aux entrepreneurs du réseau du Medef départemental. Pourtant très sollicités, les chefs d’entreprise n’ont pas été totalement convaincus. 

Le buffet d’après-réunion était plutôt bruyant cet après-midi-là au siège de la société de recyclage Paprec, à La Courneuve. La réunion, organisée par le Medef 93 Ouest, avait soulevé bien des questions parmi la petite trentaine d’entrepreneurs présents. Venus découvrir « Les Clés de l’avenir » et surtout savoir s’ils pourraient compter ou non parmi leurs futurs employés des détenus et ex-détenus, ils ont réagi, en professionnels, avec prudence.

« L’opération semble bien engagée mais quelques portes doivent encore être ouvertes, commente l’envoyé de L’Oréal, il faut qu’on connaisse mieux les processus. On a besoin de savoir quelle est l’origine de la peine. Quelqu’un qui est condamné pour alcoolémie ou atteinte aux mœurs, c’est différent. » Sa voisine, de chez AFNOR, insiste sur cette nécessaire « transparence » : Son entreprise emploie plus de 60 % de femmes alors « si un homme a été condamné pour violences conjugales, ça a une importance », estime-t-elle.

Autre préoccupation de l’assemblée : la rapidité de la procédure. Plusieurs rappellent que leur besoin en matière d’embauche sont bien souvent urgents. Comment allier cette composante essentielle du recrutement avec le temps de la justice, de l’administration pénitentiaire ou encore de la formation ? « Embaucher demande beaucoup de temps, explique la DRH d’une compagnie de sécurisation de logements vacants. On doit s’y retrouver au niveau de la réactivité. Et puis, s’inquiète-t-elle, il y a tous les problèmes liés à l’aménagement de peine : si un détenu ne la respecte pas, qu’il a du retard en rentrant du travail, il retourne en prison, et nous ? que fait-on avec un employé en moins du jour au lendemain? »

D’autres – et l’on se demande ce qu’ils faisaient à cette réunion – sont catégoriques. « Vous voulez des détenus dans votre salon ? Vous leur ferez confiance ?, lance un entrepreneur dans le bâtiment. Nous sommes assez sectaires dans ce milieu. On ne pourra pas prendre de détenus. »

Tous les partenaires des « Clés de l’avenir », ici présents, n’avaient pourtant pas ménagé leur peine. Sans cacher les difficultés que cela pouvait engendrer, ils avaient tous mis en avant l’intérêt social – même sociétal – de l’opération mais également économique de cette réinsertion par le travail. « Une initiative généreuse et en même temps connectée aux valeurs de l’entreprise », défendait Abdel Aïssou de Vediorbis, qui a déjà employé un ancien détenu et s’apprête à en embaucher 4 autres. « L’idée est d’éviter qu’ils passent par la case RMI ou assistanat, ajoutait le directeur général délégué. Le risque de retour en arrière est alors grand. »

Monsieur Molins, Procureur de la République de Seine-Saint-Denis, s’était concentré sur l’implication de la société civile « dans son ensemble » en matière de réinsertion des détenus et sur l’importance du rôle des entreprises dans cette « volonté commune de servir l’intérêt général ». Pascal Viguier du GEPSA avait détaillé tout le travail d’orientation et de formation effectué en amont par son entreprise auprès des détenus et terminé par un « S’il-vous-plaît, aidez-nous. » Madame la préfète déléguée à l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis, Christiane Barret, après avoir salué cette « rencontre un peu improbable » entre l’Etat, la Justice et les entreprises, avait insisté : « On ne peut rien faire sans vous (…) L’égalité des chances s’inscrit complètement dans les activités des entreprises. »

Toutes ces explications destinées à faire comprendre aux entrepreneurs que le détenu était parfaitement encadré avant et après sa sortie n’ont peut-être pas eu l’effet escompté. Les entrepreneurs l’ont tous ou presque concédé, ils découvrent un monde qui leur est inconnu et dont ils redoutent la lourdeur. C’est vrai, dans certains secteurs, ils ont besoin de main d’œuvre mais beaucoup attendent de voir. Quels types de profils seront proposés ? Comment organiser l’accueil de ces employés ? La formation correspondra-t-elle vraiment à leurs besoins ?... Beaucoup de questions restent en suspens.

Raynald Rimbault, délégué général du Medef 93 Ouest, à l’initiative des « Clés de l’avenir » est bien conscient des interrogations – pour ne pas dire inquiétudes – de ses collègues. Il sait que le choix des premiers détenus candidats sera décisif. « L’objectif de ce test est qu’il réussisse. Nous choisirons les détenus susceptibles d’être intégrables en entreprise le plus rapidement possible », assure-t-il. Lors du premier semestre 2009, les premiers CV de détenus seront envoyés aux entreprises volontaires et un forum de l’emploi aura lieu à la Maison d’arrêt de Villepinte.

Elisa Mignot

Elisa Mignot -