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Anne Dhoquois : « Le racisme est anti-économique ! »

Dimanche 19/10/2008 | Posté par Serge Michel

La journaliste sort ce mois un ouvrage sur les entreprises qui s’engagent en banlieue*. Un phénomène qu’elle décrit comme encore « embryonnaire » mais très prometteur, car il repose sur un réel besoin des entreprises, notamment en recrutement. Interview.

Propos recueillis par Serge Michel et Marlène Schiappa

Vous parlez des entreprises qui s’engagent en banlieue. Quelle est l’ampleur du phénomène ? Finalement, est-ce que ce ne sont pas les entreprises – au lieu de l’État - qui sont en train de réaliser le fameux « Plan Marshall » pour les banlieues ?

Quand on fait une enquête, on démarre toujours avec des a priori… Moi, j’ai été assez surprise que tout soit au stade expérimental. Je pensais que les volumes de personnes concernées étaient plus importants. Les programmes mis en place sont intéressants, mais ça concerne le plus souvent 10 personnes par an ! Alors que les entreprises qui les organisent ont des milliers de salariés ! Ca a été mon premier étonnement. Les entreprises, aujourd’hui, se demandent quelle est la meilleure méthodologie pour bien recruter, et donc mieux intégrer les salariés dans l’entreprise. Certaines d’entre elles admettent qu’elles ont fait des erreurs en recrutant dans les quartiers sans préparation. Il y a donc pu avoir des conflits « culturels » avec les nouveaux recrutés.

Une meilleure méthodologie, c’est l’intérêt du livre : j’y explique les maillages entre entreprises et associations, entreprises et institutions… et ce qui marche, c’est le « mixte ». Si l’entreprise veut faire du social contre sa vocation, elle va à l’échec. Il faut donc qu’elle s’associe avec la structure ad hoc.

C’est vraiment un système embryonnaire alors ?

Il y a un an, dans ce livre, il y aurait eu 5 entreprises ! C’est en 2005-2006 que certaines ont commencé à réaliser qu’elles avaient intérêt à développer leur politique « diversité » ; elles ont peu à peu instauré de nouveau processus de recrutement mais c’est lent.

Donc ce n’est pas de la philanthropie…

L’emploi, c’est le nerf de la guerre. L’État ne peut pas faire grand-chose par rapport à ça, c’est au bon vouloir de l’entreprise. Au début, il y avait la peur d’un procès pour discrimination, car la HALDE joue à plein son rôle de gendarme.

Puis, elles se mettent à recruter en banlieue parce que c’est leur intérêt, c’est là que sont leurs futurs salariés. Quasiment personne ne veut de quotas ou de discrimination positive, cette expression est extrêmement mal vue en France. Aziz Senni, créateur d’entreprise et de la BAC, parle lui de « quotas sociaux » plutôt que de « quotas ethniques », « minorités visibles », c’est un terme mal perçu dans les quartiers…

Trouvent-elles les profils qu’elles cherchent ?

En banlieue, on est sur du recrutement de gens compétents qui s’autocensurent, qui sont assez défaitistes ; d’autres, plus petits, ont vu leurs grands frères s’embêter à faire leurs devoirs avec des associations, obtenir des diplômes et se retrouver au chômage ! C’est énorme la répercussion que ça peut avoir sur toute une fratrie. L’exemplarité, c’est quelque chose de très fort, dans les deux sens. C‘est pour ça aussi que ce livre tombe au bon moment. « Pourquoi pas moi ? » c’est l’objectif de ce livre : que les jeunes se disent « Je pourrais monter une entreprise, trouver un bon travail »… mais aussi, que les entreprises se disent « Pourquoi pas moi ? Je pourrais m’engager en banlieue. »

Certains patrons recrutent en banlieue parce que ça correspond à leurs valeurs, ils parlent avec force de ces thèmes : pour eux, s’interdire de recruter des gens compétents, c’est un non-sens. Ils le disent clairement : le racisme est anti-économique !

Cela dit, il y a des codes dans une entreprise, et c’est aux jeunes de banlieue de faire un pas dans leur direction. C’est ce que dit Vicka dans un des portraits du livre : une casquette à l’envers ça ne le fait pas. Si on veut bosser, à un moment, il faut se mettre dans le moule, sans se nier, mais en trouvant le bon compromis. Ce sont deux mondes qui se font face et qui ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente. C’est aussi aux jeunes des quartiers de prendre conscience que, pour en sortir, des quartiers, il faut se demander : Qu’est-ce qu’on est prêt à faire ?

Quelles sont les réussites les plus marquantes d’entreprises engagées en banlieues ?

J’ai en tête plusieurs exemples, comme Casino, les pionniers de ce type de démarche. Ils se sont implantés à Vaux-en-Velin au début des années 90. Ils ont mis au point toute une méthodologie en amont, pour embaucher autrement que sur CV et lettres de motivations : la méthode par simulation (ndlr : jouer au vendeur). On joue donc sur les qualités, la tchatche… et non pas sur le « diplôme ou pas », qui peut être discriminant pour les jeunes des quartiers. Elle a été testée, et à chaque nouveau magasin, un processus identique est mis en place. C’est une politique globale d’entreprise, qui a 15 ans !

Schneider Électrique a aussi inventé une méthodologie adaptée aux besoins de plusieurs entreprises sur un bassin d’emploi. Addeco, le CJD, l’Éat… en sont partenaires, ce maillage est très intéressant. Dans d’autres villes, d’autres acteurs, comme Areva, ont piloté des processus identiques. C’est ce qui est intéressant : une fois que la méthodologie a été appliquée, ça rassure les entreprises et ça permet l’essaimage. Elles ont peut-être la trouille parce qu’elles voient des choses à la télé… D’où l’idée de faciliter l’action : c’est bête de ne pas reprendre à son compte les choses inventées par d’autres

C’est une sorte de course aux talents qui se met en place ?

On a beaucoup parlé d’emploi alors que les entreprises peuvent aussi aider de façon différente : aider des associations oeuvrant sur les quartiers, aider à la formation, à la création d’entreprises… SFR, avec le « Cercle passeport télécom », lutte contre l’autocensure dans les études. Ils aident les jeunes en bac ou en BTS à pousser pour devenir ingénieur télécom. Dans le même temps, ils repèrent des jeunes pour les embaucher. L’idée est de donner de l’ambition, quand le milieu n’y pousse pas. Il y a tout un tutorat mis en place, Orange et Bouygues, entre autres, les ont rejoints. Ils savent que, dans quelques années, ils vont peiner à recruter… Alors oui, la course a commencé ! Orange est au tout début de sa réflexion sur le sujet, ils s’intègrent au cercle passeport télécoms pour préparer le terrain, c’est un vivier pour eux. Et c’est Orange, donc ça va être énorme comme possibilités d’emplois !

Ce n’est pas gênant pour Orange de se greffer au programme SFR ?

Non, Orange, c’est typique : ce n’est pas altruiste, c’est du donnant-donnant. L’intérêt est d’expérimenter.

Beaucoup d’organismes veulent favoriser la création d’entreprises en banlieue. Mais y a-t-il assez de porteurs de projets en banlieue pour tous ces programmes ?

La création d’entreprise en banlieue, c’est un boum énorme ! Comme le salariat ne marche pas, ils créents leurs propres boîtes. Il faut des accompagnateurs pour cela (BAC, ADIE…) parce que les échecs sont courants : il y a moins de réseaux, moins d’apport financiers à la base… Mais on trouve en banlieue énormément de porteurs de projets !

Pourtant, ce sont toujours les mêmes dont on parle dans les médias. N’est-on pas en manque d’exemples ?

Bien sûr, mais ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas médiatisés qu’ils n’existent pas, au contraire. À Stains, on m’a présenté un jeune qui a monté une SSII, c’est un génie des mathématiques, mais personne n’en parle. Il embauche des gens des quartiers, personne ne le sait ! On trouve beaucoup de bons projets qui tiennent le coup.

 

 

Anne Dhoquois, Quand les entreprises s'engagent en banlieue, Éditions Autrement, octobre 2008, 221 p.

Serge Michel -